NOTRE INTERVIEW : Robert J. Kral (compositeur sur Angel)

13 Octobre 2016. Robert J. Kral a été le compositeur de la musique sur Angel entre 1999 et 2004, mais aussi compositeur sur la saison 2 de Buffy en collaboration avec Christophe Beck, pour quelques musiques additionnelles. C’est à lui que revient d’habiller les épisodes et donner le ton avec sa musique, chaque semaine. Quinze ans après, il revient sur son travail et accepte de livrer à notre rédaction ses anecdotes de tournage. Tous nos échanges se font par écrans interposés.

BUFFY ANGEL SHOW : Est-il vrai que vous avez travaillé sur la saison 2 de Buffy comme Ghost-writer (ndlr: compositeur collaborateur non crédité) avec Christophe Beck ? Est-ce par ce travail que vous êtes devenu compositeur sur la série Angel ?

ROBERT J. KRAL : Oui, j’ai travaillé sur certains épisodes de « Buffy the Vampire Slayer » pour Christophe Beck mais c’était seulement un très petit nombre de compositions. Ce n’était que des moments où Chris était extrêmement occupé et avait besoin d’un peu d’aide avec sa charge de travail. Une joie de travailler dessus ! C’est grâce à mes années de travail pour Chris avant ça que j’en suis venu à travailler sur « Angel ». Je travaillais pour Chris sur d’autres productions pendant plusieurs années avant de contribuer à « Buffy » et, musicalement, nos styles de travail fonctionnent naturellement bien ensemble. Chris et moi étions tous deux étudiants à l’USC’s film scoring program. Nous avons été choisis pour aider sur une émission de télévision appelée « White Fang ». Le compositeur pour ce show était l’un de nos professeurs de l’USC où nous avions étudiés, mais nous étions dans des classes différentes, voilà comment nous sommes arrivés à travailler ensemble la première fois. Au cours de notre travail sur ce show, j’ai remarqué que mon style était très similaire à celui de Chris, et je suis sûr que c’est quelque chose que Chris a fortement remarqué. Peu après « White Fang », la carrière de Chris a décollé très rapidement et il est devenu très occupé. Il m’a engagé pour contribuer à composer sur de nombreux projets, environ 4 ans avant la naissance d’ »Angel », alors nous nous connaissions très bien et avons travaillé très étroitement ensemble. J’ai appris une immense quantité de techniques avec lui et en suis vraiment reconnaissant !

BAS : Suiviez-vous Buffy et Angel lors de leurs diffusions ? Si oui, avez-vous un épisode préféré ?

RJK : Je n’ai pas regardé beaucoup d’épisodes de « Buffy » bien que j’adore la série. Et une fois que mon travail a commencé sur « Angel » j’étais occupé essentiellement à travailler 7jrs/7, et je n’ai plus eu le temps de regarder « Buffy ». Je regardais « Angel » bien sûr puisque que je travaillais dessus depuis l’épisode 1, et que je voulais vérifier que tout fonctionnait à chaque épisode diffusé. Mes épisodes préférés de Angel sont  « Sacrifice héroïque », « Darla », « L’hôtel du mal », « Un Trou dans le Monde », les épisodes avec Faith, le trio d’épisodes de Pylea, et beaucoup beaucoup d’autres. Tous les gens qui ont travaillés et écrit des scripts pour la série étaient immensément talentueux, mais mes épisodes préférés sont généralement ceux écrits par Tim Minear. Le studio m’envoyait chaque épisode lorsqu’il était prêt avant que nous puissions nous rencontrer pour discuter de la musique. Souvent, je regardais en pensant « Wow, c’est incroyable, je me demande si c’est écrit par Tim Minear » et je ne me trompais pas, c’était toujours le cas ! Il est un sacré bon scénariste. Les épisodes écrit par Joss Whedon étaient également spectaculaires. Les arcs des histoires globales sur Angel étaient tout simplement superbes et il est incroyable de voir comment ils ont développés les personnages au cours des cinq années.

BAS : Comment organisiez-vous votre travail pour la série de l’idée première à la composition ?

RJK : Le studio m’envoyait un épisode à regarder et à  préparer pour une réunion appelée « Spotting session » où nous discutions de la musique, et les gars des effets sonores étaient également là. Celles-ci ont eues lieu avec David Greenwalt et parfois Joss Whedon. Nous déterminons exactement là où il devait y avoir de  la musique et ce qu’il fallait faire.

BAS : Aviez-vous une limite de temps, et était-ce difficile à tenir ?

RJK : Après cette rencontre, je devais ajouter le nombre de minutes de musique dont nous avions discuté et qui serait nécessaire, puis diviser ce nombre par 5 ou parfois 6, puisque je disposais de 5 ou 6 jours pour écrire chaque partition de l’épisode. Plus précisément, nous nous rencontrions le vendredi et j’avais jusqu’au jeudi suivant ou parfois plus tôt pour fournir la musique finie, enregistrée, mixée, et approuvée. Cela signifie que vers le mercredi environ, je devais présenter la musique dont ils avaient besoin pour vérifier toutes les modifications nécessaires, et permettre une ré-écriture ou adapter la musique à ces changements. Aux alentours du jeudi ils mélangeaient la musique avec la boîte de dialogue et des effets sonores, et le vendredi on attaquait l’épisode suivant. Cela se passait chaque semaine pour chaque saison, de sorte que le travail était absolument non stop. Avec habituellement environ 34 minutes de musique, c’était définitivement un challenge de garder cette somme de production chaque semaine !

Le plus grand défi a été pour l’épisode « Darla » qui a nécessité 38 minutes de musique en littéralement quatre jours seulement. Cela faisait près de dix minutes de musique par jour, et tout était original et nouveau, rien n’a été réutilisé ou suivi. Sans aucune autre aide de compositeur pour m’en sortir. c’était quatre jours très intenses, mais quelle histoire fantastique que cet épisode. Il a été très inspirant, donc heureusement la musique m’est venue facilement, mais c’était encore une montagne de travail pour passer cette épreuve. Au bout du compte, il est mon « score » favori pour la série tellement il fonctionne bien, et je sais que Tim Minear, qui a écrit l’épisode, était ravi de la musique aussi.

BAS : Joss Whedon et David Greenwalt vous imposaient-ils un style ou vous laissent-ils une liberté totale de création ?

RJK : Le style avait été essentiellement déjà établi avec « Buffy », et était en général un style d’orchestre et de score comme celui d’un film. Bien qu’il y avait des moments plus légers et comiques, le style devait rester orchestral et grave, sombre, morose, mystérieux, etc. Les scènes d’actions telles que les combats ont été composées dans un style qui tend effectivement à suggérer une bataille mythique en termes d’intensité. Une première bagarre entre Angel et Spike aurait aussi très bien pu avoir l’air de deux guerriers mythiques qui détiennent le destin final de l’univers. Et à bien des égards, ça s’avère vrai ! C’est ça le truc à propos de « Buffy » et « Angel », nous avons des personnages ressemblant à des gens ordinaires, mais qui ont affaire à l’Apocalypse et aux Portes de l’Enfer tous les jours ! Donc, au sein de ce style plus largement établi, il y avait encore beaucoup de liberté à l’intérieur de ça.

Souvent, les éditeurs voulaient suivre certaines de mes musiques pour voir comment ça fonctionnait, et lui donner le goût de ce qu’ils voulaient, pour que je puisse l’utiliser comme un guide. Mais c’était très rarement quelque chose de ré-utilisé dans le show final. Ce que je veux dire c’est que des enregistrements ne sont pas réutilisés, mais les thèmes ont été certainement présentés pour différents personnages, tels que Darla par exemple, qui avait son propre thème, présenté de nombreuses façons différentes tout au long de son arc scénaristique.

BAS : Avez-vous une histoire à partager avec nous sur vos années « Angel » ?

RJK : La première qui me vient à l’esprit et qui est évoquée dans ma réponse à votre précédente question, est la contrainte de la charge de travail et le temps pour l’épisode « Darla ». Un des producteurs m’a alerté à l’avance : « Rob, la semaine prochaine nous avons un épisode à venir et nous ne pouvons vous donner que 4 jours pour le compléter ! » « Oh boy » ai-je pensé. « J’espère que c’en est un avec moins de musique ! » Le producteur est allé plus loin : « C’est un grand épisode, je pense qu’il est peut-être même mur à mur » (ce qui signifie de la musique non stop). Je pris une profonde inspiration et me suis mentalement préparé pour ça. Je n’avais pas d’autres compositeurs pour m’assister et j’ai juste continué à penser « Oh mon Dieu, ça va être dix minutes de musique par jour comment diable vais-je réussir ça ? Avec des grands traits ! je vais faire des grands traits », ce qui signifie que, comme un peintre je pourrais avoir besoin d’utiliser un pinceau large et de grands traits sur sa toile pour la remplir rapidement, je pourrais en faire de même !

L’épisode est venu et j’étais dans la crainte de ce que je regardais, un épisode brillamment écrit qui venait de me stupéfaire. Un sens et des personnages fantastiques qui allait plus loin dans le passé, révélant qui ils étaient, d’où ils venaient, et ce qu’ils allaient maintenant devenir. Juste un épisode BRILLANT écrit par Tim Minear. J’étais sans voix après l’avoir visionné. Donc, l’inspiration est venue facilement. Lors de la session de spotting il y a une scène avec Spike, Angel, Drusilla et Darla dans le passé, pendant leurs années de gloire. Ce fut une scène de crossover avec l’épisode de « Buffy » qui allait être diffusé juste avant celui-là…. où le gang connaissait leurs jours de gloire, mais dans l’épisode d’ »Angel », la même scène est montrée à travers les yeux d’Angel et nous apprenons qu’il n’était pas vraiment avec de mèche avec les autres vampires, qu’il s’extirpait de son côté mauvais et s’interrogeait sur ses compagnons de route. Pourtant, quand la bande marche à travers un village ravagé par le feu, Tim à dit « WAGNER !!!! ROB JE VEUX DU WAGNER !!  Un Truc énorme comme ça, du calibre de la Chevauchée des Walkyries !!! » « Oh Boy », pensais-je encore ! « Nous ne pouvons pas réaliser ça et cela va être merveilleux pour la charge de travail de 4 jours ! Dieu aide moi !! »

En fait, une fois que j’ai été dedans, l’écriture est venu rapidement et, oserais-je dire, facilement. L’épisode était tellement fantastique, c’était comme si je ne pouvais pas arrêter d’écrire. La scène de style Wagner n’était pas tant un défi, car elle était une joie, et facilement exprimée à travers la grande musique. C’était comme si je ne pouvais pas attendre pour raconter l’histoire musicale en soutenant l’épisode, et avant que je ne m’en rende compte, les quatre pénibles jours étaient terminés, et Tim aimait le résultat. Je n’ai pas eu besoin de recourir à grands traits, je vraiment aimé écrire chaque détail qui était nécessaire. Je pense qu’elle est la meilleure des musiques que j’ai écrit pour la série. Ce qui était quelque chose que je craignais, c’est avéré être mon épisode préféré !

BAS : Préférez-vous composer pour des scènes d’actions ou des scènes romantiques ?

RJK : Je préfère la romance de balayage, et les styles épiques ! J’aime l’action, et presque tout ce que j’ai travaillé est plein de scènes d’actions donc que j’ai eu BEAUCOUP d’expérience dans ce domaine. Mais en tant que compositeur j’étais habituellement obligé à faire toutes les pistes. L’écriture et l’exécution de la musique d’action peuvent être assez épuisantes ! Les scènes d’action impliquent souvent une centaine de pistes d’instruments, et je les exécute tous par multi tracking, essentiellement parlant. Cela prend beaucoup d’énergie ! Ce qui vient naturellement à moi est la musique romantique, des scènes plus douces, et aussi de grandes épopées épiques pour une raison quelconque. J’ai adoré faire les score des épisodes « Sacrifice héroïque » et « Darla »  par exemple, et des choses comme la fin de l’épisode où Angel donne à Connor une nouvelle maison et famille (La piste « Home » sur l’album de la bande-son). J’ai un nouveau film d’animation qui sort début 2017 appelé « Justice League: Dark » et il y a quelques énormes scènes dedans dont j’ai adoré écrire le score, mais il y a quelques scènes tendres aussi. Dans un de ceux-là, à la fin, se construit une épopée époustouflante, et c’est l’un des moments préférés que j’ai jamais écrit. Il y aura un album de bande son pour ce film, donc si les fans veulent obtenir la musique, je fais référence à la piste qui est appelée « retour à la maison » (Returning Home).

BAS : Quel est le film /Série sur lequel vous avez préféré travailler ?

RJK : J’apprécie vraiment les séries mystérieuses, effrayantes, mais aussi des films sincères et matériels. Alors Angel était parfait pour moi et fut un pur plaisir. La même chose peut être dite pour « Miracles » qui ne s’est avéré avoir que seulement 13 épisodes, avec David Greenwalt et Richard Hatem comme directeurs. Ce fut un show étonnant où se produisaient des choses spirituelles qui semblaient être merveilleuses et bonnes, mais si vous regardez de plus près, il devient évident que peut-être ceux-ci étaient en fait des choses mauvaises avec un sinistre agenda. Un spectacle de frissons fantastique dans la colonne vertébrale, pleins de supers moments qui ont étés une joie d’écrire musicalement. Le film d’horreur sur lequel je travaillais « The Haunting in Connecticut » avait d’intenses écritures de musique d’horreur, mais aussi beaucoup de moments tendres lorsque la famille essayait de travailler ensemble, et prenait soin du fils. La maman dans l’histoire prie pour son fils dans le grand final, alors que la maison hantée brûle et qu’ils sont à l’intérieur. J’ai écrit une chanson évocatrice basée sur le Psaume 23, c’est un moment puissant et vous avez des gens dans le public qui pleuraient littéralement au cours d’un film d’horreur ! Pour moi, j’aime écrire de la musique émotionnelle comme ça. Fournir, guider et créer des émotions profondes est ce qui m’a attiré vers cette profession.

BAS : Quels sont vos futurs projets ?

RJK : Récemment, je viens de terminer « Justice League : Dark » pour Warner Bros Animation. Il sera sorti en DVD en Février 2017, et aura également un album de bande son. Je pense qu’il contient quelques-unes des musiques que j’ai jamais écrites. L’histoire fantastique implique des personnages qui sont célèbres dans le monde de la bande dessinée, mais jamais avant à l’écran, mais également beaucoup d’action et d’aventure. Je suis aussi sur le point de commencer un nouveau  film d’animation « Scooby Doo! » alors je pense que ma gamme de style est à présent assez large !

BAS : Une dernière question : avez-vous d’autres passions en dehors de la musique ?

RJK : J’aime la photographie et les prises effrontées, je peux être trouvé sur Instagram comme Robert J Kral et California_Themeparks. J’aime aussi aller dans les parcs à thèmes et j’adore les montagnes russes ! J’en ai jamais assez ! Mon autre passion est le ski, c’est dommage que ce soit seulement en hiver mais j’aime tellement ça, et c’est l’un des rares sports que je peux réellement faire sans m’embarrasser. C’est juste une pure joie de skier sur les belles montagnes comme Mammoth en Californie, et Deer Valley en Utah, etc. Pour l’été, j’aime le surf. Ou devrais-je dire essayer de surfer, mais je garde l’espoir d’y arriver un jour ! Mon autre passion est un travail avec un groupe de jeunes pour mon église locale, j’ai toujours aimé cela et ai été impliqué dans le travail de jeunesse depuis que j’ai 15 ans. Les années de l’adolescence sont d’une importance si vitale qu’elles façonnent ce que nous devenons à l’âge adulte, et les décisions que nous prenons pour nous-même et nos semblables affectent le reste de nos vies. Donc, le travail des jeunes sur les plages de surf étaient une grande chose et c’est très agréable d’être impliqué dedans, comme l’étaient les voyages au ski avec les gens de l’église, et maintenant les voyages de groupes de jeunes d’église aux parcs d’attractions ! Il est incroyable de découvrir ce que chaque jour peut offrir de particulier en combinant  nos intérêts et nos passions.

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