Le discours politique dans Buffy
Le discours politique dans Buffy contre les vampires semble totalement absent au premier abord, Joss Whedon ne souhaitant pas nécessairement vouloir s’engager sur ce terrain glissant. Seuls deux personnages incarnent des politiques dans le Buffyverse : le Maire Richard Wilkins du côté de Buffy, et la sénatrice Helen Brucker du côté d’Angel. Mais aucun de ces deux politiques véreux et corrompus ne porte d’étiquette permettant de les identifier à un parti. Pourtant, on trouve au détour de certains scénarios, certaines mise en scènes, et certains dialogues acerbes une dimension politique intentionnelle de la part de Whedon. Mais que veut-il nous enseigner ?
Buffy Summers est-elle une communiste affirmée ?
La Hunga-Munga et la masse que Buffy tient dans les main dans l’épisode « 3×01 Anne » vous rappelle quelque chose ? Il s’agit là d’un symbole flagrant de la faucille et du marteau, comme ceux qui ornent le drapeau communiste. Cette scène marquera les esprits puisqu’elle restera la séquence de clôture du générique des saisons 3, 4 et 5.
Si le discours politique semble totalement absent de Buffy, du moins sous sa forme directe, l’épisode « 3×01 Anne » est le premier à donner pour la première fois un visage trotskiste* à son héroïne, en plaçant l’intrigue dans une dimension politique bien particulière. Immergée au milieu du sous-prolétariat et des marginaux d’une grande métropole après avoir fait une fugue de plus de trois mois, Buffy suscite la révolte d’un groupe de personnes réduites en esclaves dans une sorte d’enfer, et obligés à des travaux forcés par des démons. Elle s’appuie pour cela sur une révolte populaire pour renverser un ordre établi, au profit d’un groupe entier. Lors de la bataille finale, elle se retrouve en point de mire, debout sur une estrade, faucile-marteau au point, réelle incarnation de la révolution contre l’oppression des masses, dans le style réalisme socialiste.
Durant tout l’épisode, Buffy est éloignée de la bourgeoisie de Sunnydale pour devenir une travailleuse, une serveuse dans un modeste restaurant, qui démontre tout de suite que la dure réalité de la vie est encore plus horrible que la chasse aux vampires. Avec sa métaphore en filigrane où les gens vieillissent plus vite dans cette dimension infernale et sont relâchés une fois qu’ils ne sont plus bons à rien, « 3×01 Anne » nous enseigne qu’à vouloir grandir trop vite, on vieillit trop vite.
Buffy est habituellement une héroïne solitaire ou appuyée par le petit groupe du Scooby gang. Elle affronte parfois le danger pour sauver le monde, mais plus souvent, elle se bat pour un seul individu. Dans cet épisode, elle est montrée pour la première fois comme un leader, et elle est suivi par la foule. Lorsqu’elle défonce le crâne de Ken – le grand patron des démons qui prône le travail et jamais aucune plainte de la part de ses esclaves – Buffy Summers se moque ouvertement de la philosophie non-violente de Gandhi. Buffy s’affiche alors comme une adepte de la révolution contre l’oppression, et même de la révolution violente !
*Le trotskisme soutient en premier lieu l’idée de la construction d’un parti ouvrier révolutionnaire, de l’internationalisme et de la dictature du prolétariat comme base de l’auto-émancipation de la classe ouvrière et de la démocratie directe. La dictature du prolétariat désignant la phase transitoire de la société entre le capitalisme et le communisme.
Vous travaillez, vous vivez, c’est tout ! Aucune plainte, aucun rire, rien d’autre que le travail !
Hey, Ken ? Vous connaissez la philosophie de Gandhi ?
Buffy Summers lutte-t-elle contre l’oligarchie et l’élitisme ?
Un autre discours politique dans Buffy offre quelques sujets de pensée en soulevant la question de la lutte entre le traditionalisme borné et l’ingénieuse innovation, entre l’élitisme et la démocratisation. Nous ne sommes plus cette fois sur une lutte des classes, mais plutôt sur une lutte idéologique. Nous parlerons cette fois de « 5×12 L’inspection ».
Quand le Conseil des Observateurs dirigé par Quentin Travers débarque à Sunnydale pour dicter les règles à Buffy, contrôler l’opposition de Giles et mettre au pas chacun des membres du Scooby-Gang, ils représentent la dictature en place, l’oligarchie. La Conseil des Observateurs forme depuis le premier jour une classe dominante, une forme de gouvernement ou le pouvoir est réservé à un petit groupe d’initiés composés de sages, d’Anciens, de ceux qui croient détenir le savoir et la bien-pensance. Quentin Travers se targue d’ailleurs de détenir le pouvoir et le fait bien savoir à la Tueuse en lui rappelant qu’elle est l’instrument du Conseil. Il n’en faudra pas plus à Buffy Summers pour renverser le système en place et conduire son groupe vers une transition démocratique, vers un état de droit.
Sans être neutre ni objective, il faut en convenir, Buffy ramène le pouvoir au peuple et propose un contre-modèle à un modèle dominant préexistant, dont le lien avec les intentions d’ouverture égale au plus grand nombre semble rompu. Sa joute verbale face au pouvoir qui s’incline est d’ailleurs jubilatoire pour le peuple (ici le Scooby-Gang) qui finit par l’applaudir. Sous les viva de la foule, Buffy impose son ingéniosité, son innovation, et dit bye bye aux conventions et aux traditions soutenues par de vieux briscards qui dirigent la vie des autres du haut de leurs sièges confortables.
Un parallèle est même créé dans le même épisode, quand Buffy est prise à partit par son professeur d’Histoire, le professeur Roberts, en plein amphithéâtre à l’université, parce qu’elle ose aller au-delà des idées déjà préconçues et des visions imposées par les sages. Mais le professeur Roberts n’autorise pas Buffy à le dominer, ni à offrir un autre courant de pensée que le sien. Après l’humiliation qu’elle subit devant les autres étudiants qui acceptent le système sans broncher, Buffy ne se laissera pas marcher sur les pieds deux fois, et Quentin Travers l’apprendra à ses dépends.
Et le capitalisme dans tout ça ?
Si je n’avais pas été là, Giles ne serait qu’un vieux bonhomme terrifié qui regarderait les factures en mouillant son pantalon !
Remplacer la fameuse bibliothèque du lycée de Sunnydale par la salle de séjour de Giles en guise de QG était une idée foireuse. Avec cette boutique d’ésotérisme, son sous-sol et son arrière salle, le Scooby gang retrouve de l’espace et de l’oxygène, et selon Giles il y a beaucoup de superficie. En contrepartie, Giles devient un vrai commerçant, impressionné par les marges bénéficiaire d’un magasin qui exporte partout dans le monde. Dans « 5×10 Par amour » la bande entend même leur ex-bibliothécaire se venter sur un ton enjoué : « C’est officiel, je ne suis plus victime de la vulgaire commercialisation des fêtes. J’y apporte ma contribution ! »
Quand Giles encaisse son premier client dans « 5×05 Sœurs ennemies » et court montrer ses billets à Willow, elle lui répond « Félicitations, vous voilà devenu un chien de capitaliste maintenant ! ». Mais est-ce que Joss Whedon a voulu s’exprimer lui-même par la bouche de Willow, comme il le fait régulièrement dans la série (on se rappellera par exemple de son opinion sur l’hypocrisie de Thanks Giving à travers le personnage de Wiollow dans « 4×08 L’esprit vengeur »), telle est la question ? Un peu plus tard, c’est Anya la pro-capitalisme, qui se fait corriger par un Alex lui indiquant de remplacer sa formule « Partez maintenant ! » par « Bonne journée ». Et Anya de lui répondre « Mais une fois qu’ils ont payé, je m’en fiche de ce qu’il peut leur arriver ! »
Dans « 5×19 Magie noire », le discours de Whedon demeure très provocateur à l’égard du capitalisme quand il fait redéfinir à Anya la perception de la civilisation Américaine, fondée, non pas sur la démocratie comme veut l’indiquer Willow, mais sur le capitalisme lui-même. Un capitalisme qu’Anya qualifie de précieuse idéologie et fondement de l’Amérique. Une économie de marché basé sur l’échange lucratif de marchandise contre de l’argent, et un système d’une beauté symbiotique dit-elle ! Et que Giles ne viennent surtout pas lui expliquer qu’elle se trompe, car elle le traitera d’immigré. Pour se faire pardonner des téléspectateurs Américians, Whedon conlura la séquence en faisant condamner à Anya les communistes et les Français (jugés trop anti-Américains) !
Avec ce discours, soit Whedon cherche à brouiller les pistes sur sa position, soit il ne se revendique ni communiste, ni capitaliste, et se joue de la politique.
Si on va plus loin sur l’évolution d’Anya, son rapport à l’argent et sa méconnaissance des rapports sociaux, on peut dresser un portrait peu flatteur des capitalistes. En effet, Anya elle-même se dit capitaliste dans « 5×19 Magie noire », et s’oppose farouchement au communisme. Lorsqu’elle joue au « jeu de la vie » avec Dawn, elle se plaint d’avoir plein d’argent et de gosses. Alex lui explique qu’elle est en train de gagner, et elle propose alors immédiatement de vendre ses gosses pour avoir plus d’argent ! Le fait qu’Alex souligne l’intérêt de l’argent n’est pas innocent puisqu’il est le seul personnage à affronter des problèmes financiers. Souvent, les personnes qui affirment que l’argent est sans importance, en ont justement beaucoup !
Alors que les autres sont morts de fatigue le jour de l’ouverture de la Magic Box, elle est la seule à se plonger dans un examen critique des comptes de la boutique de Giles, liasses de dollars à la main. Si cette image a un petit quelque chose d’obscène, elle est logique de la part d’Anya, qui est complètement dépourvue d’inhibitions ! Elle montre qu’elle s’intéresse à l’argent avec la même facilité qu’elle exprime ses désirs sexuels. On peut pousser toujours plus loin l’analyse sur les personnages et leur rapport à l’argent avec Cordélia, qui quand elle est riche est une garce égoïste, et qui quand elle redevient pauvre fait preuve d’altruisme et de solidarité (dans Angel). Mais aussi avec les avocats vérreux de Wolfram & Hart qui peuvent tout acheter et qui sont dépourvus d’humanité. De même, Buffy riche à Los Angeles nous semble bien superficielle et centrée sur elle même (cf : « 2×21 Acathla, partie 1 »), alors que son appel coïncide avec un niveau de vie tout de suite moins aisé et plus modeste.
Une dernière scène qui montre que Whedon aime charger sur le capitalisme (comme il le fait avec le puritanisme religieux entre autre choses), est la scène très significative du fabuleux « 4×10 Un silence de morts » dans laquelle un marchand d’ardoises et de stylos profite de la situation pour se faire de l’argent, tandis que le marchand d’alcool, lui, est toujours ouvert. Selon Whedon, ces plans montrent qu’en cas de drame, « le capitalisme ne perd pas le nord ». Le marchand de pancartes évoque au créateur de la série les personnes qui vendaient des drapeaux américains juste après les attentats du 11 septembre 2001. Même en ayant privé la communauté de Sunnydale de parole, les Gentlemen ne lui enlèvent pas deux moyens de vivre ensemble et de s’aider : la religion et les échanges commerciaux.
Félicitations ! Vous voilà un chien de capitaliste maintenant…
Buffy pourrait-elle devenir à son tour l’une des figures patriarcales qu’elle a maintes fois défié ?
« J’aimerais que ça puisse être une démocratie, je le souhaite vraiment. Ce serait plus juste, pas de doute. Mais les démocraties ne gagnent pas de batailles. C’est une vérité difficile à entendre, mais il faut qu’il y ait une voie unique. Vous avez besoin de quelqu’un pour vous donner des ordres, qui soit parfois dur avec vous et qui ne prenne pas vos sentiments en compte. Vous avez besoin de quelqu’un pour vous diriger«
Ce monologue de Buffy dans « 7×19 La fronde » a fait couler beaucoup d’encre et les réactions ont souvent été virulentes. La Tueuse s’y oppose à ses amis, qu’elle cherche à convaincre de mener une contre-attaque envers la Force sur la seule base de son intuition, avec une autorité déplaisante, conduisant ces derniers à l’exclure du groupe suite à un vote unanime. Néanmoins, cela les conduira droit à la catastrophe, au sens littéral du terme, puisqu’ils tomberont dans un piège et devront compter sur leur leader d’origine, Buffy, pour voler à leur secours. Après quoi celle-ci retrouve sa place officielle de leader. Ce traitement du personnage, et ce retournement de situation, qui peut être interprété comme le signe que la Tueuse a eu raison de se comporter ainsi, ont divisé le public, et donné lieu à certaines analyses jugeant que Buffy a fini par devenir comme les figures d’autorité appartenant à l’ordre patriarcal qu’elle a maintes fois défié.
La question est finalement évacuée dans le brillant final où le thème du partage et de la transmission du pouvoir, récurrent durant toute la saison, est particulièrement présent. Symbolisé par l’image des Tueuses se passant la faux au cœur du combat, la transmission est assurée et on comprend que Buffy est prête à confier le pouvoir à tous, plutôt que de se l’accaparer. C’est l’essayiste Jacqueline Lichtenberg qui retranscrit le mieux cette analyse. Selon elle, Buffy devient véritablement héroïque en renonçant à être l’élue unique, elle « rejette le destin choisi pour elle par le Conseil des Observateurs » et « atteint finalement son but de devenir normale, non en changeant sa propre nature, mais, au contraire, en rendant les autres comme elle ».
« Je déteste ça. Je déteste la raison de ma présence ici. Je déteste que vous soyez ici. Je déteste l’existence du Mal, mais j’ai été élue pour le combattre. J’ai souvent souhaité que cela n’ait jamais été le cas, et je sais que c’est aussi ce que certaines d’entre vous se disent. Mais il n’est pas question de souhaits ici, mais de choix. Je pense que nous pouvons vaincre ce Mal, pas lorsqu’il viendra à nous, lorsque son armée sera prête, mais maintenant. Demain matin, j’ouvrirai le sceau, je vais descendre dans la Bouche de l’Enfer afin d’en terminer une bonne fois pour toutes. Vous vous demandez sans doute ce qui rend les choses différentes à présent. Qu’est-ce qui nous différencie d’un tas de filles choisies les unes après les autres ? C’est vrai, aucune d’entre vous ne dispose du pouvoir dont moi et Faith disposons.
(…) Mais voici venu le moment de faire un choix : et si vous aviez ce pouvoir ? Maintenant. A chaque génération, il y a une Tueuse, parce-qu’une poignée d’hommes qui sont morts il y a des milliers d’années ont édicté cette règle. Ils étaient puissants. Cette femme (en montrant Willow) est plus forte qu’eux tous réunis. Donc je dis : changeons les règles ! Mon pouvoir devrait être votre pouvoir. Demain, Willow utilisera l’essence de la faux afin de changer notre destin. A partir d’aujourd’hui, chaque fille au monde qui a le potentiel d’être une Tueuse, sera une Tueuse. Chaque fille qui a les capacités d’avoir le pouvoir l’aura. Toutes celles en mesure de s’élever le feront. Des Tueuses. Chacune d’entre nous. Faites votre choix : êtes-vous prêtes à être fortes ? »