BUFFY ANGEL SHOW : Pourriez-vous, pour commencer, nous dire quel âge vous aviez lorsque vous avez été figurant pour Buffy ?

JORGE GONZALEZ : J’avais à peu près 20 ans !

BAS : Comment fait-on pour être figurant sur une série télévisée aux Etats-Unis ? Et comment saviez-vous quand vous deviez travailler ?

JG : Je vivais à Los Angeles à l’époque et il y avait pas mal d’opportunités pour ce genre de travail. J’ai décidé de me lancer car ça avait l’air marrant et je ne me suis pas trompé car ça l’était. C’était mon job fun pendant mes années d’études. Pour devenir figurant tu dois aller t’inscrire dans une agence qui s’occupe du casting de figurants. J’étais à Central Casting principalement mais il y en a beaucoup d’autres là-bas. Central Casting était la plus grosse agence et ils s’occupaient de la majorité des séries télés. Pour répondre à la question de savoir comment on savait à quel moment on était attendu sur le plateau, nous les figurants, ou les « walking props » (accessoires vivants) comme on avait pris l’habitude de s’appeler, on avait notre espace dédié. Cet espace différait d’un tournage à l’autre. Si c’était en studio, généralement c’était un grand espace avec tables, chaises et snacks. Si c’était en extérieur, comme dans une école, notre espace était alors une tente immense. On nous avertissait de ce qui aller être tourné au fur et à mesure pour qu’on puisse se changer dans les vêtements qu’on nous avait demandé de porter pour la scène en question. La plupart du temps on utilisait nos propres vêtements. La caméra était toujours prête à tourner même s’il y avait beaucoup de préparation et d’attente. Quoi qu’il en soit, dès qu’on avait besoin de nous sur le plateau, la personne en charge des figurants nous prévenait.

BAS : Cela était-il suffisamment rémunérateur ?

JG : Et bien pour une personne de 20 ans, oui c’était suffisant. Je n’avais pas beaucoup de dépenses à ce moment-là donc ça m’allait. Certains étés je faisais du travail de figuration en plus et je gagnais suffisamment pour vivre, mais les journées étaient très longues! On pouvait nous appeler parfois dès 4h du matin et on pouvait rester sur le plateau jusqu’à 23h et plus.

BAS : Nous avons pu lire par le passé que la production était relativement généreuse avec les figurants, et qu’elle arrondissait les salaires vers le haut. Vous confirmez ?

JG : Je ne pense pas qu’ils aient jamais fait quelque chose d’exceptionnel. La plupart du temps on nous donnait à manger, on mangeait ce que les acteurs mangeaient. Mais jamais rien d’extraordinaire.

BAS : Sauriez-vous nous dire dans combien, et même dans quels épisodes vous êtes apparus ?

JG : C’est difficile comme question car c’était il y a très longtemps. Ce que je peux dire c’est que j’ai commencé à travailler sur la série en saison 3 et que j’ai arrêté en saison 5. C’est difficile à dire en fin de compte car il y a des scènes dans lesquelles je suis qui sont utilisées dans le générique. De mémoire je sais que j’ai travaillé sur le « Zéro Pointé », « Les Deux Visages » et « El Eliminati ». Il y en a eu beaucoup d’autres mais je ne suis pas sûr des titres des épisodes.

BAS : Y a t-il des passages précis lors de certaines scènes où votre figuration est parfaitement visible ?

JG : Oui on peut me voir clairement dans pas mal de scènes, j’ai même vu des scènes de « Buffy » où on me voit.

BAS : Qui vous dirigeait lors des tournages ?

JG : Ah ah ce qui est drôle c’est que c’était une femme tchèque qui s’appelait Anya. Elle s’occupait des figurants et nous donnait souvent des directives. Je lui ai demandé si le personnage d’Anya était nommé ainsi à cause d’elle mais ça n’était pas le cas.

BAS : On voit régulièrement des groupes de figurants qui discutent dans le lycée, dans les rues de Sunnydale ou dans l’université. Est-ce que les figurants ont de véritables conversations ou font-ils semblant d’avoir une conversation ?

JG : La plupart du temps on faisait semblant de parler. Il doit y avoir un silence absolu sur le plateau quand il y a du dialogue. Il arrivait très souvent que les chaussures des figurants soient feutrées pour qu’elles ne fassent pas de bruit. Dans les scènes où il y a des casiers, regardez bien les casiers, car la plupart du temps ils sont légèrement ouverts, pour ne pas qu’ils fassent du bruit quand on les ferme ou ouvre. On peut aussi remarquer que les figurants sont particulièrement vigilants avec les objets qui font du bruit, car on devait vraiment faire attention à ce qu’ils ne fassent aucun bruit. Je me rappelle d’une scène à la cafétéria où Seth Green et Nicholas Brendon discutaient. Je tournais les pages d’un livre, et on m’a demandé d’arrêter car ça faisait du bruit. C’est vous dire à quel point les micros étaient sensibles.

On peut me voir en arrière-plan, je portais un pull Gap vert parce que c’était la mode des années 90 ah ah! Pour certaines scènes, ils avaient besoin d’un bruit de fond de conversation, du coup on discutait entre nous puis ils enregistraient. Dans les scènes au Bronze, le silence devait être absolu car il ne devait y avoir aucun bruit quand les acteurs se donnaient la réplique. S’il y avait besoin de danser, on nous jouait la chanson pendant 4 secondes, pour qu’on sache sur quelle chanson danser, quel était le rythme, mais après ça le silence était vraiment total. C’est pourquoi à plusieurs moments on peut voir des figurants danser hors tempo ou sur un autre rythme. Les gens dansent sur aucune musique, c’est pourquoi ce genre de scènes ne paraît souvent pas naturel. J’en ai d’ailleurs un bon souvenir pour l’épisode El Eliminati. Regardez notre façon de danser au Bronze, on dirait qu’on danse tous sur une chanson différente  ! (rires) !

BAS : Sauf erreur de notre part, vous avez fait de la figuration sur le premier épisode de la saison 4 « The Freshman ». On raconte que le jour du tournage à UCLA, les figurants ont été mélangés aux véritables étudiants qui démarraient leur année. Est-ce vrai ? Et cela n’a t-il pas été un défi pour la production de retrouver leur figurants au milieu de la foule ?

JG :  Effectivement j’ai été aussi dans cet épisode, je l’avais oublié! Ce que vous avez entendu est vrai. Le tournage avait lieu à l’Université de Californie du Sud durant l’année scolaire, du coup il y avait bien classe. Les personnes qui géraient les figurants nous connaissaient déjà et nous avions nos placements, nous savions ce que nous devions faire, où nous diriger etc. Pour les étudiants sur le campus, on leur demandait d’attendre entre chaque scène. Et une fois que le tournage reprenait, ils devaient traverser l’espace. C’était une façon pour les étudiants d’aller là où ils devaient se rendre, mais ça permettait en même temps d’avoir des figurants supplémentaires en arrière-plan.

BAS : Avez-vous déjà fait de la figuration sur des scènes d’action ou d’horreur, où on vous demandait d’avoir des expressions faciales particulière, de jouer la peur par exemple ?

JG : Oui absolument. Par exemple dans « Les Deux Visages », il fallait qu’on ait l’air d’avoir peur. Les figurants s’amusaient beaucoup en général, et si vous nous voyez tenir un gobelet rouge pour cacher notre bouche, c’était clairement pour cacher le fait qu’on s’amusait et qu’on riait. La caméra ne se focalise jamais vraiment sur les figurants donc on pouvait facilement s’en tirer avec ça.

BAS : Certains figurants parviennent-ils à devenir acteurs ensuite ?

JG : Beaucoup de gens viennent vivre à Los Angeles dans le but de poursuivre une carrière d’acteur, mais c’est très difficile de faire ça en commençant par faire figurant. J’ai travaillé avec facile des centaines de personnes sur différents tournages de films et séries. Je n’en ai vu que trois qui ont fait un peu plus que figurant basique. Une personne a fait silhouette (figurant qui parle) dans « Will and Grace » et « Mr and Mrs Smith ». Son nom est Jenna. La deuxième personne était un homme du nom de Dante qui a fait silhouette dans « Sabrina l’Apprentie Sorcière ». Le 3e c’est Jesse Heiman, qui est probablement celui qui a le mieux réussi. On a pu le voir embrasser Bar Refaeli dans une pub diffusée pendant le Super Bowl. Il est toujours dans le métier et est pratiquement partout en télé et au cinéma, on a juste à savoir où le chercher pour le repérer. Regardez sur youtube, vous allez sûrement le reconnaître.

BAS : Et vous ? Quels étaient vos ambitions à l’époque ?

JG : Et bien à l’époque j’étais très occupé entre mes études et le travail et j’avais juste besoin d’une pause dans ma routine. Ca a très bien marché car non seulement on était payé pendant de longues heures, mais on pouvait manger des choses absolument délicieuses la plupart du temps. Vu qu’on mangeait ce que l’équipe et les acteurs mangeaient. Par exemple, je me souviens d’une fois sur une fin de saison de « Felicity », on nous a donné du steak et du homard. Nous avions aussi des snacks prêts à l’emploi dans notre salle. Le travail de figurant a sûrement sauvé la vie à beaucoup de gens rien qu’en les nourrissant. La seule fois où on ne nous a pas donné à manger c’était quand on travaillait dans un studio de cinéma comme pour la série « Sabrina ». On devait alors acheter notre propre nourriture ce qui n’était pas terrible.

BAS : Y a t-il des contacts entre les acteurs de la série et les figurants ? Avez-vous le droit de leur parler en dehors des prises ?

JG : La règle sur le plateau c’était de ne pas leur parler ni de leur demander des photos ou des choses comme ça. Les acteurs avaient besoin de se concentrer pour se préparer pour leurs scènes. Mais ça ne se passait pas toujours comme ça. Beaucoup d’acteurs venaient passer du temps avec les figurants. Sur la série Buffy, Nick et Seth venaient très souvent nous voir. Je me souviens que plusieurs fois Nick [ndlr : Nicholas Brendon] venait se présenter aux figurants. Seth [ndlr : Seth Green] jouait avec nous au footbag, et sur le tournage de la série « Clueless », Donald Faison jouait aux dominos avec les figurants. Et parfois on devait interagir avec les acteurs. Par exemple quand on devait « accidentellement » leur rentrer dedans. On répétait un peu avec eux histoire d’être sûrs d’avoir le bon timing, la bonne vitesse et l’intensité suffisante. A part ça ils étaient sympas et nous disaient bonjour.

BAS : Nous supposons que vous regardiez la série chaque mardis à l’époque ? Avez-vous un épisode que vous préférez ?

JG : Ce qui est marrant c’était que si on était en tournage le mardi, on mangeait tous ensemble le midi et on regardait l’épisode du soir en présence des acteurs! C’était vraiment génial à vivre car on pouvait leur demander directement ce qu’ils en pensaient. Imaginez simplement des gens déjeunant ensemble dans une pièce avec des tables et des chaises. On était simplement des gens en train de manger et de regarder la télé. Je me sens très chanceux d’avoir pu regarder une série que j’aime en présence de ses créateurs.

BAS : Avez-vous un personnage préféré ?

JG : Ca serait soit Willow soit Anya. Elles me faisaient rire alors c’était un avantage.

BAS : Quelles anecdotes de tournages pourriez-vous nous confier ?

JG : Je peux m’en rappeler quelques-unes oui. Je me souviens d’une scène au Bronze, je crois que je parlais alors que je n’aurais pas du, et Joss Whedon a tendrement jeté une boule de papier sur moi. Il y avait aussi tout un pan d’histoire qui n’a finalement jamais été intégrée à la série. Joss nous briefait lui-même la plupart du temps sur une scène pour qu’on puisse savoir à quoi s’attendre, quelle énergie avoir, et nous en disait parfois même un peu plus sur l’intrigue. Et je me souviens qu’à un moment Joss nous parlait d’une scène. C’était quand Faith avait tué l’humain [ndlr : l’adjoint au maire Alan Finch]. On nous a dit que Faith allait aussi tuer le fils du maire, mais quand la saison est sortie, j’ai vu que l’idée avait été abandonnée car ça n’avait finalement pas été retenu pour l’histoire.

Par contre j’ai eu une grosse surprise à cause d’un de mes meilleurs amis. On devait rencontrer le garçon avec qui il sortait à ce moment-là et une de ses amies. Et il m’a dit que c’était Amber Benson, qui travaillait déjà sur la série à ce moment-là. Je mourrais intérieurement mais je ne pouvais pas le montrer! (rires) On a été la rejoindre chez elle avant de sortir. J’ai donc pu passer du temps chez Amber avant de sortir déjeuner! En décoration il y avait des œuvres de sa sœur, j’ai rencontré sa mère, et puis nous avons mangé de la soul food (cuisine afro-américaine du Sud des Etats-Unis). Je me rappelle qu’Amber disait qu’elle devait travailler au Griffith Park (un parc très connu de Los Angeles). Je sais que c’est de la série Buffy dont elle parlait tout ce temps mais je ne voulais pas passer pour quelqu’un de bizarre en leur montrant mon enthousiasme. Quand j’ai regardé la série quelques semaines ou mois plus tard, il s’avère qu’elle parlait de l’épisode musical, et c’était la scène où Willow et Tara chantaient dans le parc.

Je me souviens aussi d’une fois où j’ai du la jouer fine. Vous vous rappelez qu’on n’était pas censés parler aux acteurs ? Et bien quand on était à l’USC (Université de Californie du Sud) pour tourner « Disparition sur le Campus », Alyson et Seth étaient tellement sympas qu’ils allaient discuter avec les fans et prenaient des photos avec eux. J’ai fait semblant d’être un fan pour pouvoir prendre une photo avec eux même si ça faisait déjà un moment que je travaillais sur la série. A l’époque on n’avait pas de téléphones portables et encore moins de téléphones capables de prendre des photos. J’avais un appareil photo jetable et c’est avec ça qu’on a pris la photo. Je vais vous la montrer, ne tenez pas compte de ma coupe de cheveux, c’était les années 90 après tout! Je pense que vous reconnaîtrez les vêtements qu’Alyson et Seth portaient dans cet épisode.

BAS : Comment s’est terminé votre collaboration avec le staff de Buffy The Vampire Slayer ?

JG : J’ai arrêté de travailler sur la série car j’ai eu mon diplôme puis j’ai commencé un nouveau travail. Ça me manquait et je me sentais mal car j’adorais ce job mais c’était la suite logique des choses.

BAS : Vous nous disiez avoir été figurant sur d’autres séries ou films ?

JG : Oui, j’ai travaillé sur des séries pour adolescents où les figurants devaient avoir l’air d’être âgés de 18 ans ou moins. Des séries comme « Roswell », « Sabrina », « Buffy », « Clueless », « Popular », « les Années Campus », « la Famille Green ». Mais aussi dans des films comme « Erin Brockovich », « Magnolia », » Impostor », « Wishcraft », « Spiderman », mais aussi sur « Freaks and Geeks », « Sept à la maison »… en fait il y en a eu vraiment beaucoup! Oh, j’ai aussi travaillé sur une publicité avec Shakira pour un soda, je crois que c’était Pepsi.

BAS : Diriez-vous que cette expérience sur Buffy vous a aidé dans votre carrière ?

JG : Je ne dirai pas que c’est une carrière mais plutôt un travail. Si quelqu’un fait de la figuration, ses options sont limitées car on se focalise principalement sur les acteurs. C’est très dur de devenir acteur d’une série ou d’un film aux Etats-Unis et le job de figurant n’est pas vraiment une voie à prendre si c’est ce que vous voulez devenir. Comme je l’ai dit plus haut, très peu de gens tirent leur épingle du jeu.

BAS : Avez-vous conscience qu’après la lecture de cette interview, nos lecteurs vont s’amuser à vous retrouver dans chaque épisode pour savoir qui vous êtes ?

JG : Je m’en rends compte maintenant! Je pense que la scène dans laquelle on me voit le plus c’est au Bronze dans « El Eliminati ». Buffy et Faith dansaient avec trois garçons et moi j’étais avec eux sur la piste de danse. On a d’ailleurs pu voir cette scène dans le générique bien après que j’ai arrêté de travailler sur la série, c’est pour ça que c’est difficile de dire dans combien de saisons j’ai été. J’ai travaillé sur la série pendant trois saisons mais on peut m’y voir pour plus longtemps que ça.